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3 février 2007

Un coup d'Etat trop parfait

Un coup d'Etat trop parfait

Quatre mois après l'éviction de Thaksin par l'armée, le principal acquis politique du nouveau pouvoir thaïlandais reste le déroulement très pacifique du putsch. Parce qu'ils ont pris les rênes du pays sans heurts et sans faire couler le sang, avec l'assentiment présumé du souverain et de ses proches conseillers, les généraux conservent une relative légitimité. Mais pour combien de temps ?

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Par Richard Werly, Correspondant pour les Affaires européennes du Temps (Genève), ancien correspondant à Bangkok et Tokyo.
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Un seul mot manque et tout est dit ou presque: publié ces jours-ci en anglais à Taipei, «Les nouvelles démocraties asiatiques» (Asian new democracies - Taiwan foundation for democracy) brosse le tableau, en une dizaine d'articles universitaires, du bon fonctionnement des institutions aux Philippines, en Corée du Sud et à Taïwan.

Vous avez bien lu: la Thaïlande est absente du sommaire de cet ouvrage collectif destiné à atterrir, demain, dans les bibliothèques des centres d'études asiatiques du monde entier. Son auteur principal, l'universitaire taïwanais Michael Hsiao, a préféré faire l'impasse sur le royaume après le coup d'Etat militaire de septembre à Bangkok. Les co-auteurs du livre, tous professeurs ou chercheurs, ont acquiescé. Depuis que les chars ont mis fin au gouvernement du Premier ministre élu Thaksin Shinawatra, la nouvelle démocratie thaïlandaise est, pour ces intellectuels asiatiques «entre parenthèses».
Cette anecdote universitaire n'est pas aussi anodine qu'elle y parait. Elle révèle le malaise engendré par le putsch militaire, puis par les quatre mois de gouvernement ambigu de l'actuel Premier ministre Surayud Chulanont. Fort du bon déroulement du coup d'Etat, et des sondages qui dans les jours suivants créditaient les militaires d'une majorité d'opinions favorables dans le royaume, les généraux du Conseil pour la sécurité nationale (CNS) croyaient avoir réalisé, le 19 septembre, le coup d'Etat parfait.

Or plus les semaines passent, plus le vernis craque et le scepticisme monte, à l'intérieur du pays comme à l'étranger. L'absence de programme économique clair, les réactions brusques des marchés financiers, les hésitations sur l'attitude pénale et politique à adopter envers Thaksin, la récente dispute avec Singapour à propos de l'accueil réservé par l'île-Etat à l'exPremier ministre en exil... Tout cela fait désordre. Tandis que les attentats à la bombe du 31 décembre ont relancé les soupçons sur les rivalités au sein de l'armée et de la police. Et sur les règlements de compte meurtriers susceptibles d'en découler.

La donne politique est à l'unisson: si la junte militaire, créditée du renversement pacifique du milliardaire mégalomane, demeure légitime aux yeux d'une bonne partie de la population thaïlandaise, sa conduite des affaires a gelé les problèmes plus qu'elle n'a commencé à les résoudre. La mobilisation populaire en faveur des généraux est à peine perceptible. Les technocrates du gouvernement n'ont pas encore réussi - comme cela fut le cas à l'époque d'Anand Panyarachun - à se mettre dans la poche les milieux d'affaires domestiques et internationaux. Chacun - partis politiques, organisations de la société civile - reste sur ses positions dans l'attente d'un hypothétique déblocage venu d'en haut. La Thaïlande est comme anesthésiée.

La question est donc celle du réveil démocratique. Car celui-ci, n'en doutons pas, aura lieu tôt ou tard. Ce creuset de libre-expression qu'est devenu Bangkok - nouvelles technologies et prospérité de la classe moyenne aidant - ne pourra pas longtemps être mis entre parenthèses. Les ONG, déjà, fourbissent leurs armes. Certaines seront même d'autant plus sévères qu'elles ont initialement jugé le putsch «compréhensible». Les frustrations vont s'accumuler. Au risque de faire apparaître, peu à peu, les zones d'ombre du coup d'Etat trop parfait du 19 septembre 2006.

Les généraux, dans ce contexte, vont faire dans les prochains mois face à un redoutable défi: celui de la parole et des actes publics. Interpellés, ils devront répondre. Mais comment? Et avec quels mots? Le consensus actuel, basé sur la discrétion des commanditaires du putsch dont le regard est braqué sur le palais royal, s'en trouvera automatiquement ébranlé. Cette armée des ombres qui a pris le pouvoir en Thaïlande va devoir, peu à peu, prendre le risque de la lumière. Elle s'exposera, par conséquent, sur le terrain privilégié de Thaksin et des siens: celui des promesses, des chiffres, des slogans. Elle se regardera aussi dans le miroir brisé du Sud musulman. Les généraux, qui rechignent à trainer en justice l'ancien Premier ministre roué à la politique spectacle, sont en train de l'apprendre à leurs dépens: l'exercice du pouvoir, dans une société relativement démocratique et mondialisée, est un terrain bien plus miné que l'esplanade du Parlement de Bangkok, où quelques chars parés de jaune ont suffit, voici quatre mois, pour faire tout basculer.

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